«Le “libre marché” n’est pas démocratique»

Quand on laisse aller le « libre marché » capitaliste, les décisions économiques sont concentrées entre les mains d’une petite élite et la majorité de la population est exclue des choix qui la concernent directement, déplore Audrey Laurin-Lamothe, professeure au département de science sociale de l’Université York. Elle co-organise la conférence La Grande transition, qui vise à imaginer à quoi pourrait ressembler « une économie pour tout le monde ».

La pandémie a bien montré qu’on ne pouvait pas compter sur le libre marché pour répondre aux besoins essentiels de tous, surtout pas en temps de crise, affirme Audrey Laurin-Lamothe, en entrevue avec Majeur. Elle cite en exemple les pénuries de matériel médical attribuables au manque de prévoyance des décideurs et des fabricants. Elle évoque encore le contrôle exercé sur les vaccins par les grandes entreprises pharmaceutiques, qui privent les pays les plus pauvres de remèdes en défendant leurs brevets, et donc leurs profits.

« Ces problèmes-là témoignent de l’incapacité des marchés capitalistes à identifier et à combler les besoins humains les plus fondamentaux. »

Audrey Laurin-Lamothe, professeure à l’Université York et co-organisatrice de la conférence internationale La Grande transition

En fait, contrairement à ce qu’on croit souvent, le laisser-faire capitaliste n’est tout simplement pas le meilleur système pour gérer les ressources nécessaires à la vie humaine, pour organiser la production ou pour distribuer les biens, juge Mme Laurin-Lamothe. Quand les décisions économiques sont prises par une petite élite motivée par les retombées financières ou par le pouvoir, on ne peut pas s’attendre à ce que l’économie serve le bien commun, lance-t-elle.

C’est précisément afin de réfléchir à ce problème et d’imaginer des alternatives pour un monde post-pandémie plus équitable qu’un regroupement de chercheuses et de militants, dont fait partie Audrey Laurin-Lamothe, organise la conférence internationale La Grande transition. Entièrement gratuit et ouvert à tous, l’événement aura lieu en ligne du 20 au 23 mai 2021 et comptera plus d’une vingtaine d’ateliers réunissant des intervenantes d’un peu partout dans le monde.

L’un des grands enjeux sur lequel se pencheront les participants à La Grande transition est précisément celui de l’invention d’« une économie pour tout le monde ». « Il faut réfléchir à des façons de rendre plus démocratiques les décisions économiques qui affectent nos vies », explique Mme Laurin-Lamothe.

« Une économie pour tout le monde, c’est une économie où les personnes prennent part aux décisions : en tant que citoyennes qui vivent l’impact des activités industrielles, en tant que consommatrices, en tant que travailleuses. »

Audrey Laurin-Lamothe

Le thème de La Grande transition 2021 est « Construire l’utopie », mais cela ne signifie pas pour autant que la démocratisation économique est un rêve hors de portée. Bien au contraire, insiste l’organisatrice, « des propositions et des modèles alternatifs existent déjà dans tous les secteurs de l’économie ». Dans les organisations sans but lucratif ou dans les coopératives, on trouve toutes sortes d’initiatives où les gens s’organisent sur une base citoyenne pour développer eux-mêmes les services alimentaires, culturels ou communautaires dont ils ont besoin. Les syndicats peuvent aussi permettre aux travailleuses de s’allier pour avoir leur mot à dire sur la manière dont fonctionnent leurs milieux de travail : c’est aussi ça, la démocratie, insiste Audrey Laurin-Lamothe.

À présent, indique-t-elle, le défi est de penser à des manières « d’élargir la portée de ces modèles pour les édifier en projet social cohérent et durable », susceptible de contrer le fonctionnement anti-démocratique du marché capitaliste. Faut-il envisager des nationalisations, ou alors mettre en place des mesures pour encadrer le marché et mieux coordonner les initiatives citoyennes? Comment s’assurer que tout le monde puisse réellement prendre part aux grandes décisions économiques, y compris les plus vulnérables? Ce sont toutes ces questions auxquelles La Grande transition 2021 vise à apporter des pistes de réponse.


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